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l'Astrologie en Inde

 

 

Recensé : Caterina Guenzi, Le discours du destin. La pratique de l’astrologie à Bénarès, Paris, CNRS éditions, 2013, 444 p.,   

   Il fut un temps, celui d’un Marcel Mauss à l’orée du XXe siècle et qui apparaît cent ans plus tard obsolète, où, abordant la question de l’astrologie en Inde, un sociologue ou un anthropologue se serait posé la question : pourquoi croit-on à l’astrologie en Inde ? La réponse aurait établi que les astrologues étaient là-bas, comme les improbables « magiciens » de Mauss, des simulateurs se dupant eux-mêmes, répondant à l’attente d’une « représentation collective » de ceux qui y ont recours. En bref, on aurait conclu que ces derniers sont prêts « à se laisser fasciner par toutes les simulations dont le magicien est, quelquefois, la première victime »                       
 À cette question s’est substituée une autre : Comment l’astrologie est-elle pratiquée en Inde, où elle est très répandue ? Pour y répondre, l’anthropologue Caterina Guenzi a donc étudié l’astrologie comme un « savoir faisant l’objet d’une pratique », c’est-à-dire comme un « discours permettant d’orienter des choix » et se traduisant « en des actes visant à résoudre des problèmes concrets » (p. 33). Cela l’a conduite à s’intéresser aux institutions où l’astrologie est enseignée, à son contenu théorique, et à la manière dont se déroulaient les interactions entre des astrologues et des clients lors de consultations. Pendant un long travail de terrain effectué à Bénarès, lors de plusieurs séjours, entre 1999 et 2008, elle a réalisé à la fois des entretiens, l’observation, l’enregistrement et la transcription de séances de consultation astrologique, ainsi que la traduction de textes, en sanskrit ou en hindi, concernant la théorie astrologique. Elle a rencontré une cinquantaine d’astrologues (jyotisi) hindous auxquels elle a soumis un questionnaire. Elle a suivi la pratique professionnelle d’une douzaine d’astrologues d’entre eux (en enregistrant des séances, puis en les interrogeant, ainsi que certains de leurs clients). Je rendrai compte de son livre, remarquable par la richesse des matériaux rapportés, selon un autre découpage, moins élégant que celui l’organisant — institutions, lectures, usages et adaptations —, mais peut-être plus clair : la théorie, les astrologues et les consultations.   
La pratique de l’astrologie en Inde  L’astrologie et l’astronomie sont considérées comme deux branches d’un même savoir, le jyotisa, la science qui étudie les « lumières célestes » (jyotis) et qui inclut également d’autres types de divination comme l’interprétation des présages. Le jyotisa est le « savoir astronomique, astrologique, et divinatoire » de la littérature sanskrite, dont la légitimité est affirmée par les brahmanes, représentants de l’orthodoxie religieuse. Il est lui-même une branche appartenant à un ensemble de savoirs dont le tronc majeur est le Veda (chapitre 1). La théorie astrologique, en Inde, est indépendante de la théorie du karma et fonde une cosmologie alternative et complémentaire à celle-ci (chapitre 5). Selon la doctrine du karma, la destinée humaine est le fruit des actes accomplis dans les vies précédentes et celle présente, tandis que selon l’astrologie, elle résulte des configurations astrales. Les théories de l’astrologie et du karma peuvent cependant être mises en rapport en considérant que les fruits invisibles des actes accomplis dans les vies précédentes deviennent visibles à travers les configurations astrales à la naissance.

La théorie de l’horoscope est, en Inde, relationnelle : le thème astral d’une personne ne concerne pas seulement celle-ci mais l’ensemble de ses relations, et en particulier familiales. Si les proches contribuent à forger le destin d’une personne, celle-ci contribue aussi à modifier le leur (chapitre 6). Si bien que « tout horoscope individuel contient potentiellement un nombre infini d’horoscopes, autant d’horoscopes que de personnes avec qui le jataka [« celui qui est né »] entre en relation (familiale, professionnelle, affective, etc.) » (p. 298). Toutes les planètes peuvent avoir une influence positive ou négative, mais quatre d’entre elles (Mars, Saturne, le nœud lunaire ascendant et celui descendant), qualifiées de « cruelles » ou « méchantes », ont une mauvaise influence, plus redoutée que celle des autres (chapitre 7). À la différence de l’action des esprits des morts ou de puissances démoniaques, l’influence des planètes « cruelles » peut être calculée et évaluée. En outre, on peut distinguer l’horoscopie natale, celle dite de la question (c’est-à-dire le thème astral du moment où est posée la question à l’astrologue, sans que le thème de nativité du consultant ait à être consulté), et l’horoscopie des « moments propices » (qui identifie des moments favorables à certaines activités, pouvant être consignés dans un almanach). En plus de l’astrologie, et de manière complémentaire, les astrologues ont recours à la chiromancie, à la physiognomonie et à la « science des sites et des bâtiments » qui étudie comment les propriétés des lieux peuvent affecter la vie des personnes, ainsi qu’à la divination par le souffle et à l’étude des rêves — l’oniromancie (chapitre 4).

En Inde, les astrologues revendiquent à la fois un ancrage dans une « tradition brahmanique » et dans une « modernité scientifique ». Discipline académique, l’astrologie à Bénarès est enseignée dans les deux universités et dans les plus de trente collèges sanskrits de la ville (chapitre 2). Les départements d’astrologie des deux universités forment des étudiants (environ 80 chacun), publient un almanach annuel pour l’université et ont des chercheurs. Les enseignants comme les étudiants sont tous des hommes. La recherche la plus dynamique est celle de l’astrologie médicale, portant sur des maladies telles que le cancer, le diabète, le sida et les maladies cardio-vasculaires.

Bénarès, ville de pèlerinage, compte environ 300 à 400 astrologues professionnels à plein temps (chapitre 3). Ces derniers, très majoritairement des hommes, attirent une clientèle d’autres régions de l’Inde, et ils se déplacent eux-mêmes dans le pays pour donner des consultations. La plupart des brahmanes qui sont astrologues sont issus de familles brahmaniques comptant des astrologues ou de prêtres formés à l’astrologie. N’acceptant pas de recevoir de dons, ils fixent en général leurs consultations à des horaires précis, et avec des prix fixes, dans des cabinets où est exposé, souvent, leur diplôme universitaire.

L’avis d’un astrologue est demandé par les hindous en vue de l’arrangement d’un mariage, de la célébration de rituels, de la construction d’une maison, de l’achat d’un terrain, ou le commencement d’un traitement médical. Les séances sont souvent publiques et à plusieurs : mari et femme, avec ou sans enfant, etc. Pendant la consultation, le titulaire de l’horoscope se contente fréquemment d’écouter, laissant à la personne qui l’accompagne le soin de poser des questions. Parfois quelqu’un vient consulter pour un tiers absen